Kinésithérapie et allaitement maternel : un soutien essentiel pour une expérience sereine

  Article écrit par Sarah LIPSKIER, Masseur-kinésithérapeute spécialisée en pédiatrie, périnatalité et périnéologie

L’allaitement maternel est une étape fondamentale dans la vie d’une mère et de son enfant. Pourtant, cette période peut être jalonnée de difficultés, qu’elles soient d’ordre physique, physiologique ou émotionnel. La kinésithérapie offre des solutions efficaces pour surmonter ces défis et favoriser un allaitement heureux.

Le rôle du kinésithérapeute dans l’accompagnement de l’allaitement est encore peu connu du grand public. Grâce à ses connaissances en physiologie de la lactation, en neurodéveloppement de l’enfant et en biomécanique, le kinésithérapeute a pourtant les compétences nécessaires pour identifier, soulager et résoudre les problématiques les plus fréquemment rencontrées par les mamans allaitantes. Son intervention en pré et post-natal peut faciliter la mise en place d’un allaitement serein, prévenir et traiter les complications, et ainsi offrir un soutien précieux aux mères tout au long de leur « aventure lactée ».

Préparation prénatale : Informer et donner confiance

 

Combien d’allaitements ont été gâchés par un manque d’information, des conseils inadaptés à la maternité ou une incompréhension des besoins physiologiques d’un nouveau-né humain ?

Les masseurs-kinésithérapeutes jouent depuis longtemps un rôle majeur dans l’accompagnement des futures mamans dans la période prénatale, d’une part en soulageant les maux et inconforts liés à la grossesse, et d’autre part en aidant les mères à se préparer physiquement et émotionnellement à l’accouchement. Ils partagent également avec les sage-femmes la possibilité d’intervenir en amont de la naissance en proposant des ateliers de prévention autour de différents sujets, notamment l’allaitement maternel.

 

En effet, on peut lire dans notre décret de compétences :

  • Compétence 3 : « Concevoir et conduire une démarche de promotion de la santé, d’éducation thérapeutique, de prévention et de dépistage »
  • Compétence 6 : « Concevoir et mettre en œuvre une prestation de conseil et d’expertise dans le champ de la masso-kinésithérapie »

 

Ainsi, le kinésithérapeute pourra proposer des ateliers prénataux individuels ou collectifs afin d’apporter aux mères (mais aussi à leur entourage) une information complète et pragmatique : rythmes et besoins physiologiques d’un nourrisson, positions d’allaitement, mais aussi comment réaliser une expression manuelle, s’assurer de l’efficacité du transfert de lait, augmenter ou diminuer le débit, soigner une crevasse, un engorgement, une mastite…

 

Cependant, il est de sa responsabilité d’éviter de tomber dans un écueil courant chez les professionnels de santé : celui de s’ériger en « sachant », dans une relation pédagogique verticale et directive qui prive la mère de son autonomie. Ce positionnement peut s’avérer dangereux à terme. Certes, l’objectif est d’informer suffisamment les mères pour qu’elles puissent faire des choix éclairés. Mais une approche reposant uniquement sur des instructions ou la résolution de problèmes risquerait de susciter chez les futures mamans un sentiment d’incompétence, ainsi qu’une forme de dépendance envers un kinésithérapeute reconnu comme expert. Bien souvent, les femmes enceintes ne pensent pas activement à l’allaitement ; l’accouchement est en tête de leur préoccupations. Pourtant, au fond d’elles, une peur insidieuse s’installe : celle de ne pas être à la hauteur. Cette angoisse est d’autant plus marquée que l’allaitement, bien qu’instinctif, leur est présenté comme un apprentissage nécessitant des conseils et un encadrement. Or, stress et anxiété altèrent la sécrétion d’ocytocine, cette hormone essentielle au bon déroulement de l’accouchement et de l’allaitement, et suppriment tout geste spontané, instinctif de la mise au sein. Au lieu d’aborder cette étape avec sérénité, de nombreuses mères en viennent à douter de leur capacité innée à nourrir leur bébé, pressentant un risque d’échec. Les primipares expriment souvent cette incertitude par des phrases comme : « J’aimerais allaiter, enfin si j’y arrive… Si ce n’est pas le cas, une professionnelle pourra m’aider, mais si c’est trop compliqué je ne m’acharnerais pas. ».

Ce positionnement reflète l’attitude d’un grand nombre de professionnels de l’allaitement qui semblent détenir toutes les réponses et s’empressent de « prendre en charge » des « patientes », renforçant l’idée que l’allaitement serait un savoir à acquérir plutôt qu’un processus naturel à accompagner.

 

Cette vision de l’éducation prénatale contraste avec l’approche maïeutique prônée dans la Grèce Antique par Socrate, qui affirmait que l’âme de chacun était « enceinte » et qu’elle désirait accoucher : dans une situation d’enseignement, Socrate considérait que le rôle du « maître » était d’aider « l’élève » à mener une forme d’autoréflexion, afin que celui-ci puisse formuler sa pensée et la légitimer. On retrouve cette posture de l’accompagnant dans le « counseling » et les travaux de Carl Rogers sur la relation d’aide : comment aider l’autre à identifier ses ressources, trouver ses propres solutions et se responsabiliser ?

 

Le kinésithérapeute doit donc trouver l’équilibre entre informer la mère et la rassurer sur sa capacité à allaiter son bébé, de la même façon qu’il doit la rassurer sur sa capacité à le mettre au monde.

 

Accompagnement postnatal : Surmonter les difficultés ensemble

 

Après la naissance, les premières semaines d’allaitement sont souvent déterminantes. Les mères peuvent rencontrer de nombreux obstacles : douleurs, crevasses, engorgement, mastite, faible prise de poids de leur bébé, refus du sein ou difficultés d’accroche… Un kinésithérapeute formé en allaitement maternel est en mesure d’identifier l’origine de ces inconforts et de proposer des solutions adaptées.

 

On peut généralement classer les difficultés d’allaitement en 4 catégories :

  1. Gestion inadaptée de l’allaitement

Confrontées à des discours divergents et parfois contradictoires, les jeunes mamans peuvent parfois avoir du mal à mettre en place un allaitement serein : elles se sentent déboussolées, incompétentes, et se heurtent à des complications parfois uniquement liées à un manque d’information et une méconnaissance des besoins physiologiques du bébé humain. Positions inadéquates, tétées à heures fixes, introduction d’un biberon de supplémentation face à un pic de croissance par peur de manquer de lait, utilisation systématique de bouts-de-sein en silicone font partie de cette catégorie. Le kinésithérapeute peut aider les familles à comprendre les points clés pour un allaitement épanoui.

  1. Frein de langue restrictif et ankyloglossie

Un frein sub-lingual trop court ou trop épais peut limiter la mobilité de la langue, générant ce qu’on appelle une ankyloglossie : la langue est gênée, entravée, comme si elle était attachée au plancher buccal. Cet état pathologique affecte généralement la prise du sein en provoquant des douleurs importantes chez la mère, mais peut aussi être à l’origine de troubles digestifs chez le bébé : hoquet fréquent, rôts coincés, RGO, gaz malodorants, douleurs intestinales apparentées à des « coliques »… Après avoir réalisé un bilan complet du nourrisson et de sa succion au doigt et au sein, le kinésithérapeute est capable de préconiser une prise en charge conservatrice (rééducation) ou chirurgicale (frénectomie), et d’orienter la maman vers d’autres professionnels de santé le cas échéant. Si une intervention est finalement décidée par le médecin ou le pédodontiste, le kinésithérapeute sera en charge de la rééducation pré et post-opératoire afin d’en améliorer les chances de succès.

  1. Dysfonctions musculo-squelettiques chez le bébé

Depuis une trentaine d’année, les accouchements sont de plus en plus médicalisés : déclenchement, extraction instrumentale, manœuvres visant à retourner le bébé in utero pour éviter une naissance par le siège ou pour l’aider à dégager ses épaules lors de son passage dans le bassin maternel… Le corps du nouveau-né est soumis à diverses forces qui le contraignent, le forcent, les tractent, etc… Des tensions musculaires ou des dysfonctions articulaires peuvent en résulter et empêcher ensuite le bébé d’adopter la position la plus optimale pour téter. Ces problématiques sont identifiées et traitées en kinésithérapie.

  1. Troubles musculo-squelettiques chez la mère

Certaines positions d’allaitement inadéquates peuvent aussi provoquer d’autres types de douleurs chez la maman : syndrome du défilé thoraco-brachial, ténosynovite de De Quervain, dorsalgie, cervicalgie, névralgie d’Arnold… Une évaluation précise permet d’en identifier la cause et d’y remédier.

En présence d’un bébé né prématuré, l’étude des réflexes d’allaitement sera également indispensable. Décrits d’abord par Prechtl puis repris par Suzanne Colson dans son observation du comportement inné des nouveaux-nés lors des premières mises au sein, ces réflexes se mettent en place semaines après semaines pendant la gestation, et certains d’entre eux peuvent ne pas être arrivés à maturité lorsque la naissance survient plus tôt que prévue. La coordination succion-déglutition-respiration n’apparaît qu’à partir de 34SA, et ne commence sa maturation qu’à partir de 37SA. On constate aussi parfois une immaturité de la succion d’un point de vue biomécanique : on parlera de succion désorganisée lorsque le bébé s’accroche au sein mais tête de façon inadéquate, avec le risque de créer des douleurs à la mère, et de succion dysfonctionnelle lorsque le bébé ne parvient pas à s’accrocher au sein (“il ne sait pas quoi faire avec sa langue”).

 

Déroulement habituel d’une consultation :

  • Anamnèse
  • Mise en place d’un environnement permettant une sécrétion optimale d’ocytocine
  • Observation de la tétée : position de la mère et de l’enfant, prise du sein, coordination succion-déglutition-respiration, efficacité du transfert de lait, comportements maternels instinctifs et complexion ocytocique
  • Observation des réflexes archaïques d’allaitement du nourrisson
  • Bilan neuromoteur global de l’enfant
  • Bilan de la sensibilité globale et orofaciale
  • Bilan visuel de la langue
  • Bilan de la force, de l’endurance, de la mobilité et des fonctions de la langue – Utilisation d’échelles d’évaluation internationales validées type HATLFF (Hazelbaker Assessment Tool for Lingual Frenulum Function) .
  • Évaluation de la succion au doigt et bilan du scellé lingual
  • Bilan tactile du frein lingual
  • Bilan des structures anatomiques et des éventuelles dysfonctions biomécaniques
  • Traitement et proposition d’exercices à faire à la maison le cas échéant
  • Aide à la mise en place des ajustements proposés, identification des ressources dont dispose déjà la mère et reformulation / clarification de ses objectifs
  • Suivi post-séance afin d’évaluer les améliorations et d’adapter les recommandations en fonction de l’évolution de l’allaitement
  • Soutien et accompagnement en cas d’interrogations ou de difficultés.

 

 

Réussir son allaitement ?

 Le succès de la kinésithérapie dans l’accompagnement de l’allaitement ne se mesure pas uniquement par des critères stricts (durée, quantité de lait, nombre de tétées par jour…) ou à la capacité de la mère à allaiter de façon exclusive, mais plutôt à son bien-être et à sa satisfaction tout au long de cette expérience. Chaque parcours est unique, et l’objectif premier est d’assurer que maman et bébé trouvent un équilibre qui leur convient, qu’il s’agisse d’un allaitement exclusif, mixte ou même d’un recours au biberon. Le rôle du kinésithérapeute est d’offrir un soutien bienveillant et personnalisé, en levant les obstacles physiques et en apportant un regard neuf sur les problématiques rencontrées par chaque dyade. Il est là pour accompagner l’inconfort :  offrir un espace d’écoute bienveillant, sécurisant, non jugeant pour permettre à la maman de s’exprimer. Elle a besoin qu’on accorde du temps et de la valeur à son ressenti, qu’on reconnaisse ses difficultés et les efforts qu’elle fait pour les surmonter. Le kinésithérapeute est le témoin de son engagement auprès de son enfant et à travers lui, de son « devenir mère ».

Certaines mères cherchent à se réaliser à travers leur allaitement. L’un des objectifs à atteindre pour elles, conscient ou non, est un sentiment particulier d’appartenance sociale et de maîtrise de leur vie : l’allaitement est un choix qu’elles ont fait et dont elles sont fières, elles appartiennent à cette “catégorie” de mamans qui nourrissent leurs enfants de leur lait, et elles ont le sentiment que cela en dit long sur qui elles sont, quel genre de mère elles veulent être… Ce peut être aussi une façon de reprendre le contrôle de leur corps après un accouchement non satisfaisant (voire traumatique), pendant lequel elles se sont vues dépossédées de leur pouvoir de décision, et qu’elles ont parfois l’impression d’avoir subi. L’allaitement peut ainsi devenir un formidable moyen d’expression et d’ “empowerment” pour ces femmes assument pleinement cette nouvelle identité de mère.

L’allaitement au fil du temps : Adapter la prise en charge

L’allaitement évolue au fil des semaines et des mois. Certaines périodes, comme les pics de croissance, la diversification alimentaire, la reprise du travail ou le sevrage, peuvent nécessiter des ajustements. Le kinésithérapeute peut alors intervenir pour proposer des solutions adaptées à chaque étape.

Travail pluridisciplinaire : Une prise en charge globale

Soutenir l’allaitement maternel est l’affaire de tous. Le kinésithérapeute travaille en collaboration avec d’autres professionnels de santé tels que les sages-femmes, les pédiatres, les pédodontistes, les consultantes en lactation IBCLC, les ostéopathes, les chiropracteurs… Cette synergie garantit une prise en charge globale, assurant le bien-être de la dyade mère-enfant.

Conclusion : Vers un allaitement épanouissant et décomplexé

Grâce à un accompagnement adapté et bienveillant, le kinésithérapeute joue un rôle clé dans le soutien des mères allaitantes. Son expertise permet d’identifier les causes d’un trouble de la succion chez le nourrisson, de résoudre les dysfonctions musculo-squelettiques qui entravent une prise efficace du sein, de prévenir et traiter les douleurs maternelles et d’accompagner la mère dans l’adaptation de son allaitement aux différentes étapes de sa vie. C’est aussi un accompagnement précieux dans le « devenir mère » d’une femme : présent à chaque étape de sa maternité, le kinésithérapeute apporte son soutien au projet d’allaitement de la maman et l’aide à le réaliser.

En collaborant avec d’autres professionnels, le kinésithérapeute contribue à une prise en charge complète et personnalisée, permettant ainsi aux mères d’allaiter aussi longtemps qu’elles le souhaitent, dans les meilleures conditions possibles.

Pour aller plus loin :

Évaluation, traitement et prise en charge kinésithérapique des douleurs liées à l'allaitement maternel

Kinésithérapie et allaitement maternel

Accompagner les jeunes mères dans la mise en place et la poursuite d’un allaitement serein et sans douleurs, identifier et répondre aux problématiques les plus courantes grâce à la kinésithérapie.

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Fiche Sarah Lipskier

Sarah LIPSKIER Masseur-kinésithérapeute pédiatrique et périnatale. FORMATION ET EXPÉRIENCES FORMATIONS DIU de Pelvi-Périnéologie – Université Paul Sabatier Toulouse III. Thérapies corporelles et fertilité – Institut de Formation à la fertilité. Lactation : périnatalité et premiers mois, allaitement maternel – CREFAM. Cours complet de kinésithérapie en allaitement maternel, allaitement maternel – Instituto Aupale. Biological Nurturing –

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